Confort des bâtiments : des référentiels inadaptés à l’Outre-mer, révèle une étude

Publié par decarb.one le

L’étude COCO démontre que les référentiels utilisés pour concevoir des bâtiments ne sont pas adaptés aux Outre-mer. Le confort thermique y est possible au sein d’édifices bioclimatiques ventilés naturellement, même sans climatisation.

Le bureau d’études réunionnais IMAGEEN a mené de 2019 à 2022 l’étude Confort Optimisé pour réduire la Climatisation en Outre-mer (COCO) avec l’appui de ses collègues martiniquais du bureau d’études Watt Smart et de l’association KEBATI.

Ce travail de recherche, co-financé par l’Agence Qualité Construction et l’ADEME de Mayotte, s’appuie sur l’étude de 4142 questionnaires de ressenti de confort au sein d’édifices de la Martinique à Mayotte. Des relevés précis de température, humidité et vitesse de l’air ont été associés à chaque témoignage. 

Principaux résultats de l’étude

Les ultramarins, acclimatés aux conditions de chaleur et d’humidité tropicales, manifestent un ressenti de confort différent des résidents de climats tempérés. La tolérance est de 2°C supplémentaires en moyenne, notamment lorsque la ventilation est satisfaisante.

  • Sans circulation d’air, du confort jusqu’à 28°C
    • Avec une vitesse d’air nulle ou très faible (moins de 0,2 m/s), COCO mesure un taux de 83 % de confort pour une température de 28°C pour une hygrométrie pouvant atteindre 80 %. Dans les mêmes conditions, un métropolitain serait en inconfort dès 26°C.
  • Sous un brasseur d’air, du confort jusqu’à 31°C
    • Avec une vitesse d’air de 0,5 à 1 m/s, soit les conditions de ventilation sous un brasseur d’air, 85% des personnes se considèrent en conditions de confort thermique jusqu’à 31°C pour un taux d’humidité compris entre 65 et 75%. 
  • Dans les locaux climatisés, autant de personnes ont froid que chaud
    • Sur l’échantillon climatisé, l’étude a comptabilisé 7% d’inconfort lié au froid et 7 % lié au chaud. 
    • En dessous de 26°C, plus de 25 % se déclarent en condition d’inconfort froid en présence d’une vitesse d’air. 

“En se basant sur des données inadaptées, le secteur de la construction et du BTP a été encouragé à climatiser à outrance les bâtiments en climat tropical. Notre étude qu’il est possible d’avoir du confort, y compris sans climatisation.” 

Néjia Ferjani, directrice du bureau d’études réunionnais IMAGEEN

De nouveaux outils pour les acteurs du bâtiment

Sans prétendre harmoniser totalement les pratiques des bureaux d’études techniques, le projet COCO propose une méthodologie d’étude du confort thermique et des indicateurs adaptés aux territoires Antillais, Mahorais et Réunionnais.

“Avec le diagramme de Givoni existant, il était très compliqué de parvenir à un bâtiment confortable sans climatisation Outre-Mer. Adapté par COCO au climat tropical, cela devient beaucoup plus crédible. Pour un bâtiment bioclimatique optimisé, on va pouvoir passer d’une situation de confort 80 % du temps à 95 % du temps sans climatisation” 

Tom Chabillon, expert en efficacité énergétique chez Watt Smart.

Sur la base de l’ensemble des données récolté et traité sur les territoires de La Martinique, de La Réunion et de Mayotte, Imageen propose un diagramme de confort COCO.

Diagramme de l’air humide avec zones de confort COCO applicable sur les territoires en Martinique, Réunion, Mayotte et Guadeloupe

Ce diagramme est applicable sur les territoires qui ont servi à le réaliser : Martinique, Réunion et Mayotte mais également en Guadeloupe dont le climat est voisin de celui de La Martinique.

Les brasseurs d’air, un équipement trop peu mobilisé

Économes en énergie et moins coûteux que la climatisation, les brasseurs d’air créent des conditions de confort thermique et un ressenti de fraîcheur dans une pièce. COCO révèle qu’avec une légère vitesse d’air, 80 % des sondés ressentent du confort jusqu’à 28°C. Sous un brasseur d’air, 85% des personnes se considèrent en conditions de confort jusqu’à 31°C

“Les brasseurs d’air sont paradoxalement moins répandus en Martinique qu’à Mayotte. Il apparaît clairement qu’il est nécessaire d’augmenter le taux de ces équipements aux Antilles, en particulier dans les établissements scolaires, en choisissant des modèles performants et silencieux.” 

Tom Chabillon, expert en efficacité énergétique chez Watt Smart.

La climatisation, une source régulière d’inconfort froid

Toutes les personnes se déclarant en inconfort lié au froid lors de l’étude COCO étaient en milieu climatisé.  En Martinique, l’étude a comptabilisé 7% d’inconfort chaud et 7% d’inconfort froid sur l’échantillon climatisé.

En dessous de 26°C, plus de 25 % se déclarent en condition d’inconfort froid en présence d’une vitesse d’air. 

“Dans les logements, la climatisation n’est pas indispensable pour le confort, sous réserve d’adopter des bonnes pratiques, telles que la ventilation, la protection contre le soleil, l’installation de brasseurs d’air. D’après le modèle COCO, on peut atteindre le confort dans de nombreux cas sans climatisation.” 

Nejia Ferjani, directrice du Bureau d’étude IMAGEEN.

Un habillement supérieur aux recommandations

Dans l’enseignement à La Martinique, l’uniforme est de rigueur. L’habillement des élèves est généralement composé de chaussures fermées, pantalon épais de type jean et polo à manche courte, ce qui correspond à un CLO d’environ 0,5. Ce type d’habillement n’est pas adapté pour des bâtiments fonctionnant en ventilation naturelle en climat tropical, mais plutôt pour des bâtiments climatisés.

“Dans les bureaux ou les écoles, on sera souvent plus habillé, pantalon et chaussures fermées, d’où une sensation d’inconfort plus importante (ou d’où un ressenti chaud plus rapidement atteint. Dans les commerces et les logements, où la vêture est plus légère, nous observons une tolérance plus élevée à la chaleur.”

Nejia Ferjani, directrice du Bureau d’étude IMAGEEN.

Dans les bureaux, du confort jusqu’à 28 °C

Plus de 90 % des sondés indiquent être en situation de confort dans les bureaux jusqu’à 27°C. A 28°C, le taux de confort se maintient légèrement en dessous de 80 %, et il chute à  55 % à 29°C.

On constate qu’il est possible de climatiser à une température entre 26 et 28°C tout assurant une part de confort satisfaisante.  La climatisation fait chuter l’humidité, ce qui est également favorable.

“On peut réduire l’utilisation de la climatisation et les consommations dans les bureaux, notamment pendant la saison fraîche : le ressenti de confort y est bon jusqu’à 27 °C. Il ne faut pas oublier l’apport des brasseurs d’air, qui permettent des économies d’énergie substantielles.” 

Tom Chabillon, expert en efficacité énergétique chez Watt Smart.
Les conditions pour concevoir un bâtiment confortable sans climatisation sont réputées très difficiles à atteindre en climat tropical

30 à 50 % de foyers climatisés

Près de la moitié des foyers sont équipés de climatisation en Outre-mer, et le taux d’équipement est amené à se multiplier par 4 dans le monde d’ici à 2050. Bon marché à l’achat, mais coûteux à l’usage, le recours à l’air conditionné se fait souvent au détriment de solutions plus écologiques et économiques, telles que les bâtiments bioclimatiques. 

Selon le programme Clim’eco, la climatisation représente plus de 20 % de la consommation d’électricité des ménages dans les départements ultra-marins.

Faire changer la conscience collective 

L’étude COCO démontre la possibilité de confort en adoptant des pratiques de construction bioclimatiques de bon sens, telles que la végétalisation de l’environnement du bâtiment,  l’isolation des toitures, le recours aux brasseurs d’air et la protection solaire. La climatisation n’apparaît pas comme une condition indispensable au confort thermique.

“Il faut faire changer la conscience collective et les habitudes vis-à-vis de la climatisation, et privilégier le rafraîchissement des bâtiments plus que la climatisation. Notre retour terrain montre qu’il est possible d’avoir du confort, y compris sans climatisation : on peut avoir du confort jusqu’à 28° sans ventilation, voire au-delà de 30°C avec un brasseur d’air.” 

Néjia Ferjani, directrice du bureau d’études réunionnais IMAGEEN

Deux ans d’études auprès de 4 000 ultramarins

Les bureaux d’études IMAGEEN et Watt Smart et l’association KEBATI ont conduit et analysé un total de 4 142 enquêtes, auprès d’usagers de bâtiments mahorais et martiniquais. Pour chaque enquête la température de l’air, la température rayonnante, le taux d’humidité et la vitesse de l’air ont été relevés à l’aide de sondes. Ces métriques ont été corrélées au ressenti de confort thermique déclaré de l’usager au moment du relevé de température.

Température taux d’humidité et vitesse de l’air relevées à l’aide de sondes dans une salle de classe
Température taux d’humidité et vitesse de l’air relevées à l’aide de sondes dans une salle de classe

Les bâtiments étudiés, majoritairement des bâtiments scolaires, n’étaient pas climatisés pour la plupart : l’objectif était d’identifier les limites des conditions de confort en condition de température élevée.

L’étude COCO s’inscrit dans la continuité des travaux de la thèse “Confort en climat tropical. Conception et exploitation de bâtiments à zéro énergie” soutenue en 2013 par Aurèlie Lenoir au sein du laboratoire Physique et ingénierie mathématique pour l’énergie, l’environnement et le bâtiment (PIMENT) de l’Université de la Réunion.

Quatre paramètres mesurés avec précision

Dans chaque bâtiment enquêté, des mesures précises de 4 paramètres ont été réalisées à l’aide de sondes :

  • 1/ Température et du 2/ taux d’humidité de l’air à l’aide d’une sonde classique
  • Mesure de la 3/ vitesse de l’air à l’aide d’une sonde de turbulence
  • Mesure de la 4/ température rayonnante avec une sonde “boule noire” 

“La sensation de confort thermique est fonction de 4 paramètres indissociables : 1/ La température de l’air, à l’ombre, que tout un chacun mesure à l’aide d’un thermomètre ; 2/ le taux d’humidité de l’air, qui lorsqu’il est élevé réduit la capacité naturelle du corps à refroidir par sudation ; 3/ la vitesse de l’air, induite par un ventilateur ou une brise, qui va accroitre faciliter le rafraichissement du corps et 4/ la température rayonnante, qui est la température induite par les objets qui nous entourent : murs chauds, soleil, bitume etc.”

Néjia Ferjani, directrice du bureau d’étude IMAGEEN. 

Une initiative Ultramarine associant La Martinique, La Réunion et Mayotte

Le projet COCO (Confort Optimisé pour réduire la Climatisation en Outre-mer) associe trois territoires ultramarins. Il a été piloté depuis la Réunion par le bureau d’études IMAGEEN, avec le concours des martiniquais du bureau d’étude Watt Smart. En Martinique, les enquêtes de terrain ont été confiées à l’association de promotion du bâtiment durable KEBATI.